PENSER UNE LOGISTIQUE VERTUEUSE POUR L’ALIMENTATION EN CIRCUIT COURT
La pandémie de la Covid nous conforte dans la nécessité d’une meilleure autonomie alimentaire. L’alimentation locale en circuit court reste en-deçà de 5% sur l’agglomération clermontoise, elle est en progression et pose la question de son transport et de sa logistique : sont-ils écologiques, économiques et socialement vertueux ?
Lucie Vorilhon, fondatrice des Marchés de Max et Lucie, avenue Charras à Clermont-Ferrand, et Patrice Goutagny, Président d’AUVABIO, étaient les invités de la Rencontre de Par ici la résilience en partenariat avec la semaine de la mobilité Orbimob le 16 octobre.
Pendant 45 minutes ils ont répondu à nos questions.
En présentiel place de Jaude le samedi 16 octobre 2021
Animation et synthèse : Patrick Derossis

En synthèse : « l’absence d’optimisation des moyens logistiques et la non prise en compte des impacts écologiques et sociaux pourraient mettre en péril la filière de l’alimentation locale en circuit court »
Selon l’ANSES, nous consommons en moyenne 420 kg de nourriture par habitant par an, pour le département c’est environ 270 000 tonnes d’aliments par an dont 1/3 de fruits et légumes et 12% de viande (en baisse). En moyenne nos aliments parcourent 1 200 kilomètres pour arriver dans notre assiette. Selon Utopie, notre autonomie alimentaire était de 2,5% sur la métropole en 2017. Si elle reste faible, cette proportion a aujourd’hui probablement doublé. Sur la métropole clermontoise sont 24 tonnes de marchandise livrées par jour. Ce sont le plus souvent les producteurs qui livrent quotidiennement (moins de 100 kg par rotation et retour à vide). On parle donc d’environ 250 véhicules qui circulent par jour.
Lucie Vorilhon
Depuis sept ans les Marchés de Max et Lucie commercialisent des fruits et légumes produits localement, sur un site de e-commerce de proximité, avec des paniers commandés en ligne et livrés en point relais et à domicile, sur Clermont-Ferrand et sa périphérie. Depuis quatre ans nous avons un magasin dans le quartier de la gare.
Nous travaillons avec une trentaine de producteurs basés dans un rayon de 30 km. Et pour les produits d’épicerie nous allons un peu plus loin en Auvergne. On travaille pour les producteurs et avec eux pour les aider à écouler leur production à des prix qui leur permettent de gagner leur vie. On est également attaché à notre proximité avec les consommateurs et au développement de la vie du quartier.
La logistique reste très artisanale, elle est le plus souvent faite par les producteurs qui nous livrent. Cette organisation n’est pas optimisée, elle est coûteuse en ressources.
Patrice Goutagny
AUBAVIO est une association d’une soixantaine de producteurs auvergnats de fruits et légumes BIO créé en 2019 qui a pour objectif d’organiser la commercialisation des produits vers des magasins BIO spécialisés, des petites et grandes surfaces en contrat local, la restauration collective et commerciale (restaurants). Il s’agit de coopérer plutôt que de se faire concurrence. La logistique et le transport des marchandises sont au cœur de l’activité, c’est un enjeu essentiel puisqu’ils consomment environ 30% des ressources (temps et euros) des producteurs.
Patrice Goutagny
L’essentiel de l’alimentation animale en France se fait par voie maritime principalement en provenance d’Amérique latine, c’est ce qui explique, entre autres que la Bretagne s’est spécialisée dans l’élevage. Ces flux de transports et leurs coûts ont largement structuré l’organisation de l’agriculture avec des spécialisations par région. La concentration des activités autour de Rungis en est une conséquence, les marchandises convergent pour repartir ailleurs. Cette structuration a entraîné la diminution du maraîchage diversifié et favorisé l’agriculture intensive. En dehors des grands axes routiers (Issoire – Riom), la logistique de l’alimentation de proximité est à optimiser. C’est un des objectifs d’Auvabio.
Lucie Vorilhon
L’externalisation des activités logistiques et transport n’est pas possible car les flux sont très fragmentés avec des petits volumes émanant d’une multitude de fermes et à destination d’une multitude de points de vente, pourtant la logistique n’est pas le métier des agriculteurs. En plus des coûts, c’est beaucoup de temps consommés pour les producteurs à des horaires (tôt le matin) où ils auraient besoin d’être dans leurs exploitations. Le temps que le producteur doit consommer en commercialisation est autant de temps en moins en production.
Patrice Goutagny
Les contraintes horaires de livraison des Clients des producteurs sont difficilement compatibles avec l’emploi du temps dans les fermes. La commercialisation est un coût induit important pour les producteurs qui se retrouve forcément dans le prix de vente des produits. La grosse difficulté aujourd’hui est que l’organisation de la production est dictée par les flux, ça signifie que ça impacte les questions d’énergie, d’emploi, de maintien d’activité sur les territoires et de services publiques.
Lucie Vorilhon
Nous devons trouver des solutions car la filière est en danger. La planification de la production doit progresser pour la synchroniser à la demande : quel produit, dans quelle quantité et quand ? Il s’agit de donner de la visibilité aux Clients et si possible orienter la production pour « éduquer » les consommateurs sur la saisonnalité de la production et « éduquer » les producteurs pour arbitrer l’approvisionnement entre les ventes directes (marchés de plein vent) et les autres canaux de distribution.
Patrice Goutagny
La planification de la production est un point clef. Ça passe par l’identification des besoins des Clients, puis par la planification contractuelle de la répartition de la production entre adhérents.
La mise en place des Projets Alimentaires Territoriaux, le nombre de plus en plus importants d’élus en charge des politiques alimentaires, sont autant d’initiatives qui vont dans le bon sens mais nous avons besoin d’une trajectoire claire qui permettra de planifier en prenant des risques raisonnables et raisonnés.
On devrait prendre le sujet en partant de l’ambition : quelle est la mission de service public, d’accessibilité alimentaire à l’ensemble du territoire, quelle est l’offre (diversité) de production à mettre en place, quel plan carbone ? Tous ces éléments positifs doivent contrebalancer les surcoûts liés à l’organisation des flux. Notre agriculture ne doit pas seulement être structurée autour de la politique alimentaire et de l’aménagement du territoire, il faut intégrer la dimension écologique et la nécessité de souveraineté européenne, française et locale, ce sont des enjeux géopolitiques. Ce n’est plus seulement nourrir son ventre.
Lucie Vorilhon
Transformer le territoire péri-urbain pour installer davantage de zones de maraîchage, par exemple en arrêtant de bâtir des lotissements. Que la logistique soit tellement simplifiée que tout le temps qu’on y passe on le passe plutôt autour d’un bon gueuleton.
Patrice Goutagny
La transformation des territoires péri-urbains ne me parait pas suffisante, je souhaite le déploiement d’une agriculture diversifiée (polyculture et élevage) sur tout le territoire pour offrir de la production de proximité partout et favoriser le tissu économique local, les économies circulaires, la biodiversité… Il faut sortir des logiques de métropolisation qui se fait au détriment de la répartition des populations sur le territoire, c’est une question de choix de société.